A lire
http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=L%C3%A9V20100402&articleId=18451
À l'hôpital Sainte-Croix, Jean Saint-Vil
explique à des citoyens de Léogâne en quoi consiste le projet AKASAN. Les trente dernières années en Haïti ont été marquées par
la dictature et les coups d’État. «
L’espoir de 1990, avec
l’élection de Jean-Bertrand Aristide, a été anéanti par le premier coup
d’État organisé par George Bush en 1991. Le retour de la démocratie en
1994, a ravivé cet espoir, de nouveau ruiné par le deuxième coup d’État,
celui de George W. Bush en 2004, fomenté avec la complicité du Canada
et de la France. Entre-temps des organisations ont envahi le pays, des
organisations mal nommées, les ONG, qui, en réalité sont toutes
dépendantes de gouvernements étrangers. Elles ont envahi tout l’espace
haïtien, que ce soit dans le domaine de l’agriculture, de
l’alimentation, de l’éducation, etc. L’image soutenue dans ces
organisations étrangères, c’est l’image raciste où c’est le Blanc qui
tend la main au Noir qui a toujours besoin d’aide. Cette idée s’est
imprégnée dans l’imaginaire des gens qui ont accepté cette image, sans
contexte, sans comprendre que si aujourd’hui, partout sur la planète, le
Noir est pauvre et le Blanc est riche, c’est parce qu’il y a eu une
guerre depuis 1441 lorsque les Portugais ont commencé à attaquer la côte
Ouest de l’Afrique et depuis ce temps, les nations africaines sont en
déclin et les Européens s’enrichissent. »
Selon lui, l’abus des Haïtiens ne se limite pas à l’aspect
physique, mais s’accompagne d’un viol psychologique tout aussi
dommageable.
«
Aujourd’hui, un Haïtien ne peut prier Dieu
sans concevoir l’image d’un vieillard blanc. Il ne peut pas concevoir
Dieu comme un être qui lui ressemble. Cette conception est un produit du
modèle colonial reposant sur les trois « m », les militaires, les
marchands et les missionnaires. Les premiers se chargent de la conquête,
pour les seconds, qui à l’époque vendaient des humains et volaient leur
or, et les troisièmes servent à justifier le crime commis. Le rôle de
ces derniers à l’époque de l’esclavage, était de convaincre l’esclave
Africain qu’il était naturel que le Blanc soit servi par le Noir. Or,
Haïti a été le premier territoire libéré de cet enfer. En 1804, c’est un
îlot de liberté. Partout sur le continent c’est l’esclavage racial qui
sévit. Et c’est pourquoi, il y a eu combinaison des forces armées
européennes pour étouffer ce pays. Et ils l’ont fait de façon concrète,
non seulement en empêchant les Haïtiens de commercer avec qui que ce
soit, mais en exigeant que le pays paie des "réparations" aux blancs qui
ont perdu leurs propriétés à cause de la révolution haïtienne. Il est
essentiel de connaître cette histoire pour comprendre pourquoi ce pays
est si appauvri aujourd’hui. On ne peut mettre la pauvreté que l’on voit
ici sur le dos des gens victimes de 10 ans, 20 ans 50 ans voir de 200
ans de dictature! La majorité des gens que vous voyez ici ont toujours
été pauvres! »
Jean Saint-Vil, n’est pas tendre à l’égard des ONG.
« Aujourd’hui les ONG que vous voyez partout en Haïti font la même chose
que les missionnaires faisaient à l’époque de l’esclavage : ils
arrivent et disent qu’ils viennent aider, tout comme les missionnaires
étaient ici pour sauver les âmes. »
S’agit-il de propagande ou sont-elles réellement utiles
ces ONG? On ne peut pas dire qu’elles ne servent à rien. Les citoyens
vous diront qu’ils les apprécient et leur font davantage confiance qu’à
leurs propres organismes. Pour M. Saint-Vil, on trouve encore dans cette
mentalité la trace de ce matraquage psychologique de petit peuple
incapable, inférieur aux étrangers, aux Blancs, intègres et dévoués aux
pauvres Haïtiens. «
Les gens des ONG en Haïti ne sont pas à Cité
soleil, vivant avec les pauvres! Non! Ils sont à Montagne Noire, dans
les hauteurs de Pétionville, vivant avec les riches Haïtiens! Lorsqu’on
sort du centre-ville de Port-au-Prince et que l’on monte dans les
montagnes, les gens changent de couleur : plus on monte, plus les gens
deviennent blancs! Et ils ont chez-eux, des gens qui travaillent comme
domestiques et c’est cette image, qui est considérée normale! Ils
ramassent des millions de dollars au nom des pauvres orphelins d’Haïti
pour profiter d’un niveau de vie qu’ils ne peuvent pas se permettre dans
leur propre pays! C’est ça les directeurs d’ONG en Haïti. »

En Haïti d'innombrables
véhicules arborent des slogans religieux.

L'aide du Canada: des
bâches blanches rayées de noir avec l'inscription "Canada" (en
comparaison voir les tentes du Venezuela que l'on peut voir un peu plus
bas).
Le Venezuela, un pays bien moins
riche que le Canada, a offert aux Haïtiens des tentes de qualité.
Générosité empoisonnée M. Saint-Vil tente tant bien que mal de dénoncer les
organismes qui s’empressent d’aller « sauver » son pays d’origine, ainsi
que les dirigeants étrangers, dont le discours vertueux masque bien
maladroitement leur vision colonialiste et leurs intérêts commerciaux.
Toutefois, cette tâche se révèle très ardue étant donné la complicité
usuelle des médias dominants, et celle des médias dits progressistes
comme Al Jazeera English, qui, dans le cas d’Haïti, se comporte comme
tous les grands médias. «
J’ai fait des trentaines d’entrevues
depuis le séisme, confie Jean Saint-Vil, mais jamais à Radio-Canada. »
Lors d’une entrevue avec Al Jazeera sur la terrasse de leur forteresse
de Pétionville, au bord de la piscine, invisible pour les
téléspectateurs qui, eux, ne voient que les débris de l’une des rares
maisons du secteur à s’être écroulée, le discours de M. Saint-Vil a été
censuré par des difficultés techniques. Problèmes de son. Étrangement,
le journaliste, après avoir privé le représentant d’AKASAN du micro, a
continué à parler à la caméra comme si de rien n’était. «
C’est
bizarre, ironise M. Saint-Vil,
chaque fois que je dénonce les
milliards que la France doit à Haïti, on me coupe la parole ou il y a
des problèmes techniques. »
Le 1
er avril, au lendemain de la conférence de
New York, en première page du quotidien
La Presse, une
photo de Bill Clinton avec le premier ministre haïtien Jean-Max
Bellerive et le grand patron de Coca-Cola, portant « un toast au
lancement du projet Espoir pour Haïti [1] ». Espoir? Quel espoir?
N’est-il pas absurde que Bill Clinton « copréside » le plan de
reconstruction? Que celui dont le gouvernement est grandement
responsable de la récente crise financière, par l’abolition du
Glass-Steagall Act, soit choisi pour « s’assurer que l’aide soit
utilisée à bon escient [2] »? Au-delà de cette aberration, toujours et
encore cette image du Blanc honorable qui vient sauver le «pauvre petit
Haïtien misérable, malhonnête et incapable et de diriger son pays» sans
« l’aide » de celui-là même qui l’exploite depuis toujours.
Un graffiti à Port-au-Prince: "À
bas Clinton".
Plage de Jacmel: un bateau sur
lequel est écrit "délivrance". En Haïti, c'est "Dieu avant tout", un
slogan très courant chez ce peuple très croyant.
On
envahit un pays, on exploite son peuple, on lui vole ses présidents élus
démocratiquement pour les maintenir dans la misère pour ensuite « voler
à son secours ». Le seul espoir que peut avoir Haïti aujourd’hui, c’est
de mettre un terme à cette spirale infernale qui l’appauvrit depuis
toujours, de ce libérer de ce commerce de « charité » d’une indicible
malhonnêteté .
Notes 1. La Presse, 1
er avril 2010, page 1.
2.
Ibid
Photos, Julie Lévesque,
Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) 2010.
Julie
Lévesque est journaliste et chercheure au Centre de recherche
sur la mondialisation (CRM). Articles
de Julie Lévesque publiés par Mondialisation.ca